L'ArcheoNaute nous laisse de nombreux ouvrages sur l'histoire des techniques de navigation et l'ethnologie nautique.

François Beaudouin, ancien marin à la Marchande et à la pêche, a consacré sa vie à l'univers nautique. Conservateur du Musée de la Batellerie de Conflans Sainte-Honorine, Serge l'a rencontré sur son "Cochet"...  

 

C'était en octobre 1990. Entre deux marées, en grande mer, avec les marins pêcheurs, le projet lointain d'un reportage en eau douce m'amena tout naturellement à prendre contact avec François Beaudouin. Pour qui voulait dépasser la simple relation éphémère sur les navigants de Seine et autres rivières, François Beaudouin était incontournable. C'était la référence. Lui avait le contact et la connaissance d'un monde souvent ignoré. Il ne s'embarquait jamais à la légère et était plutôt réputé sévère avec les observateurs pressés et peu scrupuleux.

Le scrupule est manifestement une de ses qualités premières. Il a une soif inassouvie de toujours  approfondir son sujet, les bateaux, et ceux qui les mènent. Il ouvre en permanence de nouvelles voies de recherche, fouille le moindre cours d'eau où des hommes ont navigué, ne se lasse jamais d'étudier l'origine des constructions et l'évolution des techniques.

La demande d'une rencontre fut timide. Il en est parfois ainsi des maîtres dont on savoure l'oeuvre, que l'on aimerait un instant côtoyé et dont, en définitive, on redoute le contact. Mais enfin il faut bien se jeter à l'eau…

Venez donc dimanche à Venables. L'invitation était trop belle.

Ce dimanche, François Baudouin et son épouse Assénette nous attendaient à bord de Cochet. L'accueil fut chaleureux, pas extravagant, ni condescendant, simplement chaleureux.

Pour une fois je n'ai pris aucune note… et n'ai retenu de ce dimanche sur l'eau douce que deux choses : un enseignement et une surprise. L'enseignement s'empressa de préciser François Beaudouin lui venait de son maître en ethnologie André Leroi-Gourhan : "Prenez deux vallées proches mais dont les habitants respectifs n'ont pas, n'ont jamais eu, le plus petit contact. Etudiez les bateaux qu'ils ont construits, les techniques qu'ils ont adoptées et adaptées, vous constaterez qu'elles présentent un très grands nombre de similitudes!"

Les photos prises alors témoignent, quinze années plus tard, de la surprise. Quelle surprise, doublée d'un étonnement ! Voici que ce maître, connu pour ne pas rire avec le patrimoine et les moindres détails des nefs anciennes, nous reçoit dans ce qu'il nomme un bateau mais qui apparaît dès le franchissement de la coupée comme une maison flottante certes, mais bien aménagée comme une maison ! Qui plus est avec cheminée dans laquelle le maître déjà prépare les braises pour la cote de bœuf… Comment un tel érudit, tatillon à ses heures, dit-on, s'est-il laissé emporter par le goût de transformer ainsi ce bateau ? Car il n'y a pas que la cheminée, il y a le salon, la salle à manger, la chambre même et cette décoration… Certes, il y a aussi cette large baie vitrée rectangulaire, pas même en forme de hublot qui, ouvrant sur le plan d'eau, offre un tableau vivant… mais tout de même !

Les heures passées furent délicieuses et généreuses. François Beaudouin est plus passeur que professeur. Sans rien enseigner de précis, je n'ai aucune honte à reconnaître qu'il a, pour une part non mesurable, orienté mon regard sur la rivière, les gens qui y vivent et travaillent… J'ai porté mon intérêt plus vers l'humain, alors que sans négliger cet aspect, il est plus attaché aux bateaux. Mais alors, j'y reviens, pourquoi cet aménagement de Cochet ? Tout ce qu'il me conta ce jour, avec sa manière, sans mièvrerie, rude même parfois, fut tellement plus important que j'ai laissé de côté cette surprise, jusqu'à … hier soir !  Quand j'ai remémoré pour Jean-Paul ce contact. Son éclat de rire fut à la mesure de ma surprise de naguère ! Cochet n'était pas un bateau ancien, mais un bateau, né dans l'esprit de François, imaginé et conçu par lui. Jean-Paul, a lui aussi, bien plus que moi, côtoyé le maître (j'hésite à utiliser ce mot qui risque de ne point trop lui plaire). Il en conserve admiration et savoir, qu'il a augmenté de sa pratique de la rivière, en tant que batelier lui-même, en tant que conseiller apprécié de nombreuses collectivités.

  

Un découvreur

Jean-Paul ne saurait reprendre toute la démarche que François Beaudouin a suivi pour construire Cochet, il explique le minimum :"Pour satisfaire sa nature curieuse et aventureuse de visiter tous les coins d'eau de France il a réalisé un bateau à faible tirant d'eau, équipé d'un moteur qui puisse le mener partout, mais aussi doté des agrées pour la propulsion manuelle... Mais cet homme tout à fait dans notre siècle n'a pas voulu se priver des aménagements modernes et d'un réel souci de convivialité… A partir de ces données, il a mis en œuvre les moindres perfectionnements techniques, prenant tout ce qui lui paraissait intéressant dans les embarcations anciennes, les a adaptées et a navigué avec Cochet du nord au sud, multipliant les découvertes, plantant aussi ça et là son chevalet. François Beaudouin est peintre reconnu, chez qui les "marines" constituent la première inspiration."

Jean-Paul raconte ses rencontres avec celui qu'il qualifie quasi filialement "Archéonaute" :

"François Beaudouin m'a conduit à une vision globale et structurée, en requestionnement permanent des mondes de la batellerie. Cette rencontre fut déterminante en réveillant mon intérêt à relire l’Histoire de France, me "calant" alors sur les grandes périodes de structuration du territoire par les chemins d’eau, comme l’évoque également Fernand Braudel. Ma rencontre avec François Beaudouin fut un moment essentiel dans ma compréhension du monde fluvial où je navigue depuis 1973. Il m'éveilla à une geo-histoire des bassins de navigation, m'initia aux techniques de construction par des évocations sensibles : l'odeur du brai, du goudron... du chanvre humide... les sons réguliers de l'herminette.... Les hommes à la manoeuvre… Ils nous a proposé de nouveaux regards sur la rivière et ses gens, révéler les paysages culturels des berges, grèves, cales, abreuvoirs, rampes, quais qui rendent comptent de l’histoire fluviale…"

Jean-Paul insiste encore sur les multiples facettes de cet homme qui se mire dans la moindre plan d'eau toujours en quête de découverte. Il répond régulièrement avec enthousiasme, à une association ou à une ville souhaitant construire une réplique de Gabarre ou autre unité locale…A Montjean-sur-Loire, à Cognac… Il s'emporte aussi devant l’approximation de certaines reconstitutions, réalisées dans la hâte, sans l’étude scientifique préalable pour interpréter les croquis, gravures,… afin de définir le plan final de construction. Navigateur lui-même sur son Cochet, puis son Randonneur

Il y eut notamment cette descente de la Garonne en canoë avec sa femme, l’œil naturellement aux aguets, au détour d'un méandre, il découvre les restes d’un bateau ancien qui, après mobilisation des services culturels et de l’archéologie et une étude des modes constructifs et du contexte territorial de ses usages, va constituer une pièce patrimoniale majeure pour les localités riveraines.

Ancien conservateur du musée de la batellerie de Conflans-Sainte-Honorine, il a donné l’impulsion à ce lieu culturel d’intérêt national.

"François, que j’ai le privilège de côtoyer, depuis près de vingt cinq ans, au gré, de visites au musée de la batellerie, de colloques spécialisés, de rencontres "bord à bord" en "voisin" de bateaux avec son Cochet, de flâneries ligériennes ou parisiennes, incarne pour moi le guide, le référent éclairé qui m’a donné les clefs de la rivière."

François Beaudouin c'est tout cela à la fois, un grand archéonaute comme le qualifie donc fort à propos Jean-Paul.

Passion patrimoine

Comme tous les passionnés qui valorisent le patrimoine fluvial dans des musées, notamment à Caudebec-en-Caux[1], Clamecy, Longueil-Annel, ils sont conservateurs en Chef, attachés de Conservation, documentalistes, archivistes, restaurateurs de maquettes, scénographes, moulinologues…  

Ils animent avec enthousiasme des écomusées plus modestes : Séquana[2] à Chatou, Nogent-sur-Marne, Saint-Mammés… mais aussi des associations comme HCE[3], GRAS[4]… qui regroupent nombre de découvreurs, de scientifiques… qui tentent de faire partager leur intérêt pour le monde des cours d’eau. Il y a aussi les associations locales d’histoire et d’archéologie ces  "sociétés savantes" qui regroupent tant d’amateurs éclairés, dont le précieux concours a permis de révéler et de sauvegarder, les traces parfois ténues d’un passé fluvial oublié. Notre  pays et ses institutions semblent plus concernées par ses églises, châteaux ou autres vaubanneries… que par sa géohistoire des "chemins qui marchent".

 


[1] Musée de la Marine de Seine, dont l'initiateur fut l'excellent Alain Joubert auteur aussi avec un collectif de La Seine mémoire d'un fleuve. 

[2] Association crée par François Casalis.

[3] Hommes et Cours d’Eau. Association présidée par Bernard Lesueur.

[4] Groupement de Recherches Archéologiques Subaquatiques.